Créer un escape game pédagogique sans cacher d’indices, sans temps d’installation, sans avoir de contraintes de salle et qui peut se déployer dans n’importe quel lieu ? C’est possible, Instant Science a relevé le défi !  Retour sur la conception de Recherche sous tension, une escape box sur la démarche scientifique, co-produite avec la délégation Occitanie Ouest du CNRS.

Recherche sous tension est un projet d’escape game pédagogique financé par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) dans le cadre de l’Appel à projet « Science avec et pour la société » (SAPS) mené par la délégation Occitanie Ouest du CNRS. Quatre chercheuses et chercheurs de trois laboratoires sous tutelle CNRS ont activement contribué à la conception des contenus et des documents pédagogiques : le LIPME (Laboratoire des Interactions Plantes-Microbes-Environnement), le CBI-LMGM (Centre de Biologie Intégrative et Laboratoire de Microbiologie et Génétique Moléculaires) et l’IPBS (Institut de Pharmacologie et Biologie Structurale).

Un cahier des charges au préalable

Rappelons qu’un escape game est un jeu d’enquête collaboratif qui se déroule dans un temps imparti. Plongés au cœur d’une histoire, les joueurs doivent faire preuve d’esprit d’équipe, de logique, de réactivité pour mener à bien leur mission avant la fin du compte à rebours. À Instant Science, nous avons développé plusieurs escape games, convaincus que ce sont de véritables leviers pédagogiques. Car un escape game a pour effet d’éveiller la curiosité et à susciter l’intérêt autour d’un sujet. L’équipe de la délégation Occitanie Ouest du CNRS a donc fait appel à nous dans le cadre de ce projet avec plusieurs objectifs en tête :

  • Faire découvrir le métier de chercheur.e et la diversité de ses missions
  • Montrer comment se construisent les connaissances scientifiques
  • Montrer les différentes étapes de la démarche scientifique et souligner l’importance de la remise en question
  • Toucher prioritairement les collégiens et lycéens

L’objectif de départ était aussi de concevoir et développer un dispositif dans lequel chacun des scientifiques du projet pourrait reconnaître son quotidien de chercheur·e, ses sujets de recherche et ses outils de travail. Pour cela, la thématique de la démarche scientifique semblait convenir à tout le monde et semblait être pertinente d’un point de vue pédagogique, répondant à de nombreux éléments des programmes scolaires. Il ne restait plus qu’à se mettre d’accord sur le format !

« Plus que » ? Pas vraiment…

Penser l’escape game différemment… 

Un escape game est un jeu d’enquête basé sur la fouille pour trouver des indices cachés et ainsi résoudre des énigmes. Un important temps d’installation, au sein du lieu où se déroule le jeu, est donc à prévoir. D’autres contraintes peuvent se rajouter (si l’animation se fait dans une classe ou dans une bibliothèque par exemple) : prévoir des cachettes particulières, envisager un lieu assez grand, ne pas avoir un groupe trop nombreux. Entre autres.

Nous avons donc réfléchi à un projet pouvant s’affranchir de ces contraintes tout en gardant l’esprit d’un escape game. Et c’est ainsi que l’idée d’une escape box s’est révélée être LE dispositif pouvant lever toutes ces contraintes.

En effet, ce format a permis de répondre à d’autres demandes du côté de la délégation Occitanie Ouest du CNRS afin d’avoir un dispositif :

  • Qui s’adapte à tous les lieux, que ce soit en classe ou en laboratoire ;
  • Déployable pour une classe entière, c’est à dire jouable avec 30 élèves simultanément ;
  • Compact, transportable et le plus léger possible ;
  • Avec une remise à zéro simple et rapide.

Nous avons également pris la décision de nous affranchir de l’électronique. En effet, le dispositif devait s’adapter à n’importe quel lieu mais aussi à n’importe quelle personne voulant l’animer (un médiateur·trice scientifique, un·e chargé·e de communication au sein d’un laboratoire de recherche, un scientifique, un·e médiathécaire, etc). L’électronique peut avoir la contrainte de nécessiter des vérifications et des mises à jour régulières.

Mais vous nous direz… Comment amener du contenu pédagogique et garder l’aspect ludique de l’escape game avec une simple boîte ? 

Sources : https://depuncheur.fr/critiques-jeux/unlock-legendary-adventures

Pour amener du contenu pédagogique et ludique, le célèbre jeu Unlock a été une source d’inspiration. Unlock est un jeu de société qui a réussi à reproduire l’atmosphère et les sensations d’une escape room avec un jeu de cartes. Les cartes racontent le scénario et donnent des indices. Certaines cartes sont numérotées, faces cachées et au fur et à mesure, celles, dont le numéro a été trouvé grâce à une énigme, sont révélées.

Ainsi, notre escape box présentera des énigmes sous différentes formes associées à des cartes de scénario et à des cartes à numéro. Et, pour rendre la box ludique et reproduire l’atmosphère d’un véritable escape game, nous avons décidé d’inclure des éléments mécaniques comme des loquets à code, divers compartiments verrouillés à l’aide de cadenas, un labyrinthe de clefs, des choses à toucher, à observer, un tiroir caché, des clefs à libérer, etc.

Mais revenons-en à nos moutons : la démarche scientifique. Penser à des énigmes amusantes et stimulantes est une première mission. Y inclure des notions pédagogiques et éveiller à la démarche scientifique grâce à elles, en est une autre !

Après un temps de travail avec les scientifiques pour définir ce que l’on entend par « la démarche scientifique », nous sommes rapidement partis sur l’idée d’une boîte avec 4 compartiments bien distincts et identifiés correspondant aux 4 principales étapes de la démarche scientifique :

  • La problématique
  • Les hypothèses
  • L’expérimentation
  • L’interprétation des résultats

Chaque compartiment a été pensé avec un code couleur spécifique pour que les participant·e.s puissent rapidement identifier à quelle étape de cette démarche ils.elles se situent pendant le jeu.

En résumé, nous avons donc une boîte avec des compartiments et des cartes de jeu, chaque étape de la démarche scientifique identifiée avec un code couleur spécifique.

Afin de bien identifier les cartes entre elles, nous avons développé 2 formats différents :

  • un « grand » format pour les cartes introductions des différents compartiments qui racontent le scénario et peuvent donner les premiers indices
  • un « petit » format pour les cartes à numéro à retourner si l’on y est invité.

Cartes « grand » format pour le scénario et les indices

Cartes petit format

Cartes « petit » format à numéro

Prototype n°1

Une fois le format décidé, nous avons pu nous pencher sur les contenus et messages pédagogiques à faire passer, sur les différentes formes d’énigmes et sur le scénario de jeu.

Pour cela, nous avons organiser une réunion de brainstorming avec l’ensemble des scientifiques. Les idées d’énigmes ont fusé !

Le scénario de jeu se devait quant à lui de représenter les différents domaines de recherche des scientifiques et de donner envie aux participant.e.s de jouer. En nous inspirant du scénario de l’escape game Recherche à risque, portant également sur la démarche scientifique, et en l’adaptant aux sujets de recherche des scientifiques du projet, le scénario de notre escape box a pris forme.

« La ville a été contaminée par un agent infectieux rendant gravement malades les habitants.

Vous êtes stagiaire au sein d’un laboratoire du CNRS. Et alors que les autorités de la ville commencent à évacuer les équipes de votre labo, vous apprenez que celui-ci pourrait contenir des informations sur la contamination.

Vous décidez donc de rester pour essayer de trouver des réponses. Le laboratoire est maintenant vide. Il n’y a plus personne à part vous. Vous apercevez une boîte étrange. Cette boîte est scellée pour qu’elle ne tombe pas entre de mauvaises mains.

Votre objectif : ouvrir cette boîte et partir à la recherche des informations sur cette contamination. Un agent de sécurité vous attend à l’entrée. Il vous évacuera dans 1h, les mains vides ou non. »

Comment rendre une boîte immersive avec des objets ? 

L’objectif premier de cette escape box est de réussir à ouvrir la boîte. En effet, tout au long du processus de conception, nous avons essayé de garder en tête une chose : le jeu doit être immersif. Et ceci, même si c’est « juste » une boîte. L’immersion est un élément incontournable des escape games. Nous ne pouvions donc pas passer à côté de cet aspect.

Nous l’avons un peu évoqué auparavant, l’idée est de jouer avec des éléments mécaniques emblématiques des escape rooms comme des systèmes de cadenas, des codes, des compartiments cachés afin de décortiquer petit à petit la boîte et d’en révéler tous les secrets.

Mais, tout cela est à mettre en lien avec les messages pédagogiques. Aussi, de nombreuses séances de réflexion et de brainstorming ont été réalisées tout au long de la conception afin de relier les messages pédagogiques à des énigmes stimulantes et immersives.

 

Voici quelques exemples

Au tout début de la séance, pour ouvrir la boîte fermée par deux cadenas, le code d’une partie du premier cadenas se trouve sur les cartes de départ décrivant les 4 étapes de la démarche scientifique. Ces cartes sont ensuite à positionner sur le couvercle de la boîte qui révèle la deuxième partie du code du cadenas. Dès le début du jeu, les participant·e.s visualisent ces 4 étapes qu’ils vont devoir expérimenter et jouent avec le format hybride cartes-boîte.

Pour le compartiment Problématique

Une molécule chimique est à reconstituer en 3D afin d’identifier l’agent infectieux. Quelle molécule pourrait être à l’origine de la toxicité de l’agent ? La manipulation de modèles moléculaires permet d’aborder des notions de chimie enseignées en collège et lycée tout en s’amusant autour d’une construction.

Prototype n°1

Pour le compartiment Hypothèses

Des flacons de prélèvement de terre sont à observer à la lampe UV. Un flacon a une coloration étrange ? L’agent infectieux se propage peut-être par la terre ? Est-ce une hypothèse envisageable ? En effet, les hypothèses ne partent pas de rien, elles se basent sur des observations. Mais, il faut être vigilant, ces observations peuvent être biaisées en fonction de l’observateur. Une coloration étrange ne suffit pas à confirmer que la terre est la source du problème.

Pour le compartiment Expérimentation

Des clefs sont prisonnières dans un labyrinthe. Une des clefs qui correspond au bon protocole d’expérimentation doit être délivrée. Attention à ne pas perdre de temps à libérer les mauvaises clefs ! (Les autres protocoles n’étant pas les bons à cause de la méthode ou des facteurs à contrôler).

Pour le compartiment Interprétation des résultats

Les participant·e.s doivent prêter attention à la bande sonore diffusée depuis le début de la partie. Un code morse, fourni par un autre labo de recherche, peut être source d’éléments de réponses !

Ces exemples montrent que tous les sens peuvent être mobilisés pour créer des énigmes et proposer une immersion optimale aux participant·e·s.

Un autre exemple pour résoudre une énigme en se servant du format « boîte » : un code à décrypter en le touchant (l’impression 3D sera votre meilleure alliée pour ça !) ou encore un tournevis dans un tiroir caché…

Lors de tout ce processus de création, nous avons essayé de ne pas limiter nos idées.

Bien sûr, certains choix ont dû être faits notamment pour s’adapter à un format de boîte compact, léger et transportable facilement. Par exemple, nous avons fait le choix de ne pas mettre de liquide dans la boîte afin de simplifier les remises à zéro du jeu et ne pas prendre le risque d’abîmer les autres énigmes de la boîte si le liquide venait à se renverser. Nous avons également porté une attention particulière au poids des matériaux pour que la boîte soit la plus légère possible.

Fabrication d’un premier prototype pour des tests en situation de jeu

Avoir des énigmes variées et immersives, c’est bien… Les tester en situation réelle c’est mieux !

Ainsi, une fois les énigmes et messages pédagogiques validés et fabriqués, nous avons programmé plusieurs sessions de tests en situation de jeu afin d’observer ce qui marche et ce qui marche moins bien.

Cette phase de tests est indispensable pour réaliser les ajustements nécessaires et avoir une escape box qui fonctionne, logique et amusante. Nous avons été vigilants sur certains points :

  • La durée de jeu convient-elle ?
  • Une escape box pour 6 joueurs est-ce suffisant ?
  • Les différentes énigmes fonctionnent-elles ? Sont-elles trop difficiles ? Ou trop simples à résoudre ? S’enchaînent-elles correctement ?
  • Le format hybride cartes-boîte fonctionne-t-il ?
  • Les participant.e.s s’amusent-ils.elles ?

Ces sessions de tests se sont très bien passées et le dispositif a beaucoup plu à nos bêta-testeurs (nos collègues et des lycéens). L’installation de l’escape box dure 5 à 10 minutes tout comme la remise à zéro du jeu. Ce gain de temps est appréciable comparé à un escape game plus classique et est possible par le fait que tout le matériel nécessaire au jeu se trouve dans la boîte.

Dernière étape : concevoir une boîte sur mesure 

Après ces sessions de tests et une phase de réflexion sur l’amélioration des différents éléments du jeu, la dernière étape, et pas des moindres, a donc été de concevoir une boîte sur mesure avec des matériaux légers, solides et respectueux de l’environnement. La boîte a donc été dessinée et pensée pour contenir toutes les énigmes et tout le matériel nécessaire au jeu sans avoir d’ajout de matériel à réaliser. L’utilisation de matières plastiques a été réduit au maximum et remplacé par du bois peint et stické.

Le premier prototype avait le défaut d’être très lourd et imposant. Nous avons réussi, en optimisant le matériel, à réduire de moitié le format de la boîte.

Une fois le format final validé par la délégation Occitanie Ouest du CNRS et Instant Science, la production a donc pu commencer. Objectif final : fabriquer 10 boîtes !

Comment mobiliser des chercheur·e·s à la conception d’une escape box ?

Dans le cadre de ce projet, nous avons collaboré avec plusieurs scientifiques à l’élaboration des contenus et de la boîte afin de réaliser un dispositif dans lequel ils retrouvent leurs quotidiens de chercheur·e et leurs thématiques de recherche.

Pour cela, nous avons mis en place une méthodologie afin que le temps dédié au projet ne soit pas trop chronophage pour eux et qu’ils puissent tout de même activement s’impliquer.

Nous avons ainsi organisé 5 réunions et séances de réflexion tout au long de l’année, complétées par des échanges par mail. D’abord une réunion de présentation du projet et des personnes impliquées. Ensuite des visites des laboratoires pour s’imprégner et s’inspirer de l’univers de travail des scientifiques, une séance de créativité pour déterminer les messages pédagogiques et penser à des premières énigmes. Et enfin, une réunion d’avancement au cours de l’année et une réunion de validation des contenus et présentation du prototype. Chacun·e a pu s’impliquer comme il.elle le souhaitait et à son rythme. La validation de certains contenus et du débriefing pédagogique se sont faits à distance.

Et la suite du projet ? 

Nous sommes actuellement à la fin du projet et nous en sommes ravis !

Le lancement officiel cette escape box Recherche sous Tension s’est déroulé le mardi 10 octobre 2023 à l’occasion de la Fête de la science au sein de deux laboratoires ayant participé à sa conception. 4 classes de lycéens de Haute-Garonne et d’Ariège ont pu tester le jeu en présence des scientifiques ayant participé au projet, en présence de l’équipe du rectorat de l’académie de Toulouse.

Après cette journée d’inauguration, les boîtes seront proposées aux scolaires mais aussi à l’occasion de différents événements au sein des laboratoires du CNRS.

L’avantage considérable de l’escape box est son adaptabilité. Ici, le jeu porte sur la démarche scientifique mais maintenant que le format a été pensé et testé et qu’il fonctionne, nous pouvons tout à fait envisager de réaliser d’autres escape box sur d’autres thématiques.

La recherche est dans la boîte mais l’affaire est à suivre !