Souvenez-vous. Le 21 février 2018, nous organisions à Toulouse une soirée sur la thématique des escape games pédagogiques (ou culturels/éducatifs). L’occasion pour nous d’enrichir nos propres réflexions et bilans suite au projet d’escape game « Panique dans la bibliothèque ». Devant le succès rencontré par cette soirée, nous avons monté avec Genopolys une journée de rencontre sur cette même thématique à Montpellier.

Suite à ces deux rencontres et nos projets d’escape games, voici un petit bilan partageant nos découvertes et questionnements (mais sans nous considérer comme “experts” du sujet !).

Un escape game, c’est quoi ? Définition et historique

Historique

À l’origine, le concept s’inspire des jeux vidéo qu’on appelle les point-and-click. Ils consistent à cliquer un peu partout dans une salle virtuelle dans le but de la fouiller et de résoudre des énigmes. En 2008, au Japon, le premier Point & click grandeur nature a vu le jour : c’était le premier escape game, qu’on appelle aussi “jeu d’évasion”. En 2010, le concept a envahi le monde puis est arrivé en 2013 en France à Paris.

Définition

Le concept est simple. Une équipe de joueurs se retrouve enfermée dans une pièce et dispose de 1h pour résoudre une série d’énigmes et sortir de la pièce. C’est en tout cas sur cette base qu’a débuté le concept. Aujourd’hui, il n’est plus uniquement question de sortir d’une pièce, mais il faut parfois retrouver des documents, désamorcer une bombe ou encore sauver la vie de quelqu’un… Il s’agit donc toujours de résoudre une série d’énigmes, sans aucune connaissance requise, en faisant preuve de logique, d’observation et d’esprit d’équipe, pour atteindre un but commun.

« Même si la définition reste compliquée à poser, le propre d’un escape game est que le jeu se déroule dans un espace et un temps limité, et qu’il suive un cheminement logique » explique Médéric Heurtier, responsable de la salle xcape-room à Montpellier et intervenant à la journée Escape game pédagogique. La durée limitée se retrouve généralement dans tous les escape games, allant de 30 minutes à 1h30. Néanmoins la notion d’espace limité divise. Certains jeux qui se disent escape games prennent place sur de très grands espaces (stade, ville entière…). D’autres se déroulent dans des espaces limités, mais sans forcément intégrer le principe d’enfermement (espace délimité au sol par exemple). Mais les escape games classiques sont souvent des salles entièrement cloisonnées, de 30 m2.

L’escape game, une mode qui va passer ?

Une question qui revient souvent. Sans doute déjà posée lorsque les jeux vidéos ou jeux de société sont apparus. Et finalement, aujourd’hui, ils sont toujours là et fonctionnent très bien. Et chose à ne pas oublier : cela reste encore un loisir très coûteux pour le public (la séance vaut environ 70 à 80 euros, allant parfois jusqu’à 130 euros !). Donc encore peu démocratisé.

La pédagogie dans tout ça ?

 

 

La Ludification

La ludification, ou gamification, est un phénomène répandu. Il s’agit de s’appuyer sur les mécanismes de jeux pour les utiliser dans d’autres domaines, en ce qui concerne ici, en situation d’apprentissage. L’impact de cette technique fait encore débat parmi les spécialistes en didactique. La ludification s’exprime à travers quatre grandes dynamiques que sont les émotions, les contraintes, les relations et l’idée de progrès. Dynamiques que l’on retrouve parfaitement dans un escape game. L’objectif est de motiver et d’impliquer les apprenants dans leur processus d’apprentissage. Évidemment, il ne s’agira pas d’empiler des mécanismes de jeux les uns sur les autres en y ajoutant une couche de pédagogie, mais de bien choisir les mécanismes en adéquation avec les contenus et objectifs pédagogiques.

Guillaume François, coordinateur territorial numérique éducatif du réseau Canopé Occitanie à Montpellier est également revenu sur le concept de flow (d’abord théorisé dans le milieu du jeu vidéo) : un état optimal dans lequel le joueur est entièrement satisfait de son expérience grâce à un équilibre parfait entre compétences requises, niveau de difficulté et progression. Concevoir un escape game, c’est donc permettre aux joueurs de se trouver le plus possible dans cette zone de satisfaction, en proposant un parcours ni trop facile, ni trop dur.

 

 

Parmi les formats de ludification, l’espace game a l’avantage de créer une véritable immersion « physique », de montrer l’importance de l’essai-erreur et de s’appuyer sur une collaboration entre les élèves. « Ce format révèle certains élèves qui, d’habitude, ne font pas partie de ceux qui réussissent » raconte Guillaume.

L’apprentissage en escape game… et ses limites

Il faut être conscient qu’un escape game peut difficilement permettre d’approfondir un sujet et faire mémoriser des notions. Quand les gens jouent, ils se focalisent sur leur réussite et ne font pas attention au contenu.

Les escape games peuvent donc difficilement remplacer un cours traditionnel pour les enseignants. C’est pour cela qu’une phase de débriefing est indispensable à la suite du jeu : un moment où l’on se pose avec les joueurs, pour faire le point sur leur parcours et leurs ressentis.

Par contre, il a d’autres avantages. Il sert à introduire un sujet, à éveiller la curiosité du joueur sur une thématique, à le sensibiliser, pour lui donner par la suite l’envie d’en savoir plus. En introduction d’un cours, l’expérience d’escape game, généralement marqué par l’émotion, permettra à l’enseignant de créer un point d’appui, un souvenir plaisant chez les élèves sur lequel il pourra s’appuyer pour rappeler des notions du programme. On a en effet tendance à se souvenir plus facilement d’un moment où l’on a vécu quelque chose de fort.

Intégration du contenu

Il y a plusieurs façons d’intégrer le contenu dans l’escape game :

  • Par le scénario. Par exemple un événement historique utilisé comme point de départ du jeu.
  • Au décor. Néanmoins les joueurs y font peu attention, survolant généralement le contenu intégré au décor.
  • Aux énigmes. Le contenu peut être simplement « décoratif » dans le sens où il est prétexte à l’énigme. Ou réellement apporter une réponse à la résolution de l’énigme. Par exemple, dans Panique dans la bibliothèque, une énigme consiste à replacer des portraits de femmes scientifiques dans l’ordre chronologique, puis repérer des lettres en trop formant ainsi un mot. Ce message pédagogique (zoom sur des femmes scientifiques célèbres) reste avant tout « décoratif », prétexte pour l’énigme. Par contre, quand les joueurs doivent retrouver la bonne forme de la Terre (oblate) pour en résoudre une autre, nous observions bien que le message était plus facilement retenu.
  • Dans les messages donnés par le maître du jeu. Certains escape games intègrent des acteurs qui distillent du contenu à travers plusieurs interventions (un peu comme les « cinématiques » des jeux vidéo).
  • Dans le débrief : et ça, c’est réellement INDISPENSABLE pour un escape game pédagogique/culturel/éducatif ! Cela permet de revenir sur le contenu et les énigmes irrésolues, en plus de l’expérience vécue.

Escape game et évaluation

Certains enseignants utilisent l’escape game pour évaluer leurs élèves,  notamment dans les matières scientifiques. « Ce changement de contexte et de support permet d’aider des élèves qui sont en échec devant une copie. Par contre, il faut bien fixer la nature de l’évaluation qui ne doit pas aller vers une forme de sanction de ceux qui y arriveraient le moins » précise Guillaume François. C’est uniquement dans ce cas bien spécifique que les énigmes font appel à des connaissances.

 

 

La conception : étapes et moyens nécessaires

Le lancement du projet

Très classiquement, pour créer un escape game, il faut commencer par poser par écrit le contour du projet :

  • Les cibles
  • Les objectifs pédagogiques/culturels/éducatifs
  • Les messages clés à intégrer (si le joueur ne devait retenir qu’une chose ou deux, ce serait…)
  • Les contraintes (financières, logistiques…)

Il ne faut pas hésiter à consulter les personnes ciblées par le jeu, notamment pour dégager des pistes de scénario ou des contraintes à prendre en compte. « Pour Panique dans la bibliothèque par exemple, nous avons eu une journée de consultation avec des médiathécaires afin d’avoir une liste précise des possibilités et des contraintes que nous devions prendre en compte » raconte Jeanne Chevillard de Délires d’encre, qui a conçu avec nous Panique dans la bibliothèque à destination des bibliothèques.

Puis on peut lancer un brainstorming à plusieurs afin de faire émerger les pistes de scénarios :

  • Un point de départ du scénario : contexte, types de personnages principaux (sans encore entrer dans les détails), points de tension et éléments déclencheurs de la situation… En bref, pourquoi sommes-nous coincés avec un temps limité ? Pour cela, vous pouvez vous appuyer sur vos contraintes de lieu (puis-je exploiter mon lieu pour imaginer une histoire ?), vous inspirer d’une fiction existante, ou encore utiliser des « mots stimulateurs » ou des images : vous tirez au hasard un mot/une image (« antiquité », « animaux », « futur », « meurtre »…) pour vous inspirer un début d’histoire.
  • Le final : quel est l’objectif des joueurs et que se passera-t-il s’ils échouent ?

En connaissant le point de départ et le final, il sera plus simple de construire tout le reste : ambiance, personnalité des personnages (qui peuvent jouer sur le décor) et autres détails de l’histoire.

Les publics cibles et conditions d’accueil

Les conditions d’accueil du public vont forcément impacter les choix de conception :

  • Quels sont les publics cibles ? Quel âge minimal requis ? Touche-t-on des enfants ? Des personnes en situation de handicap ? Des classes ?…
  • Faut-il gérer de grands groupes (classe par exemple) en même temps ?
  • Faut-il faire du flux ? (et donc limiter la durée à 30 min par exemple)

Généralement, l’escape game ne fait jouer qu’un petit groupe de personnes, entre 2 et 6 personnes. Au-delà, certains joueurs s’ennuient et la communication au sein du groupe est compliquée. Par ailleurs, l’escape game nécessite la présence d’un animateur. Ce n’est donc pas un format recommandé si l’on souhaite rentabiliser le rapport temps de travail consacré / nombre de personnes touchées.

Pour gérer une classe entière, si certains préfèrent séparer la classe en deux groupes, le premier faisant l’escape game et le second une autre activité, d’autres réussissent à faire participer la classe entière. Le jeu « Les Éclaireurs », conçu par Canopé, intègre 4 sous-scénarios, chacun effectué par une partie de la classe. Lorsque chaque groupe a réussi son parcours, les 4 groupes doivent mettre en commun leurs indices pour résoudre l’énigme finale. Cela favorise la coopération entre les groupes qui s’entraident dans un but commun.

 

 

Les étapes de conception

Les étapes de conception d’un escape game sont relativement classiques :

  1. Réalisation d’une note d’intention : contexte, objectifs du projet, moyens à disposition, cibles, contraintes matérielles, modalités de diffusion…
  2. Travail de veille et benchmark : recherche et documentation sur les escape games, les types d’énigmes…
  3. Préparation du contenu : mise au propre des objectifs pédagogiques/culturels, documentation, liste des messages clés
  4. Création du scénario : écriture de l’histoire
  5. Conception des énigmes et du parcours
  6. Création du décor, voire des objets à fabriquer : graphisme, scénographie, recherche d’objets, modélisation 3D… (penser à l’itinérance, à la robustesse et à la sécurité)
  7. Achats, récup’, chinage
  8. Fabrication du prototype : fabrication du matériel et du décor
  9. Test, test et re-test ! Puis modification si nécessaire
  10. Conception des outils de communication : visuel, texte de présentation, communiqué…
  11. Diffusion

N.B : on a omis quelques étapes inhérentes aux projets, telles que la cruciale recherche de financements ou de partenariats…

La durée de conception

« On ne peut pas le prévoir. On commence par poser des idées qui viennent spontanément, puis ça évolue. Ça peut prendre quelques jours comme plusieurs années. Tout dépend de nos objectifs. Mais le plus dur est de savoir s’arrêter à un moment, d’accepter qu’on ne puisse pas tout mettre dans une salle » souligne Médéric.

Certains projets comme Panique dans la bibliothèque ou Panique dans l’ISS ont été montés en 6 – 7 mois, mais pas à plein temps.

Une astuce proposée par Guillaume François est de se lancer dans la création d’un jeu de ce type par une Game Jam (évènement de 2 à 3 jours qui réunit des développeurs et dont le but est d’aboutir à des prototypes de jeux) durant laquelle on coupe tous les téléphones, les mails, etc. Et on bosse à fond sur le projet. Ainsi, en 48h, on peut déjà avoir un prototype à tester.

Le budget

La conception d’un escape game, c’est à la fois du temps humain et de l’achat, de la conception intellectuelle à la conception physique et la mise en œuvre. Le budget prévu pour un escape game est très variable, pouvant aller de 200 à 10 000 €.

« Concernant les enseignants, le Do It Yourself fonctionne très bien. Il suffit d’observer les objets qui nous entourent, essayer de les réutiliser en changeant leur utilisation première. C’est très efficace et ne coûte rien » explique Guillaume François. Dans Panique dans la bibliothèque par exemple, nous nous appuyons sur du matériel très peu coûteux : stylo, gommette, veste, ballon… Le plus coûteux restait l’investissement humain et la réalisation d’une vidéo d’introduction du scénario par un réalisateur.

Le coût peut néanmoins dépasser les 10 000 euros si l’on veut jouer sur l’immersion totale et ajouter décors et mécanismes innovants.

Les énigmes et les parcours

Trouver l’inspiration

Chacun sa technique pour trouver des idées. Du côté de Science Animation, nous avons réalisé beaucoup de veille via notamment Pinterest, les sites S’cape et Escape n’ Games. Et testé des escape games (mais ça peut vite revenir cher !).

Médéric Heurtier d’xcape-room, au contraire, refuse d’aller visiter d’autres escape games pour ne pas copier ce qu’il a vu ou être trop influencé. Selon lui, la première source d’inspiration pour des énigmes, ce sont les objets qui nous entourent. « Pour moi, la mine d’or pour créer des énigmes, ce sont les magasins de bricolage. Il y a des objets que l’on n’avait jamais vus et qui peuvent servir ou être détournés pour créer des énigmes. » Mais internet regorge aussi d’idées. Parmi les plus classiques:

  • Des mots ou chiffres à décoder grâce à des systèmes de cryptage (par exemple un mot à l’envers, un décalage de lettres A vaut B B vaut C…, un mot en morse, etc.)
  • Des éléments invisibles à révéler en faisant de la buée, via une lampe UV, de la réalité augmentée (avec une tablette par exemple) ou des lunettes anaglyphes
  • Des puzzles et casse-têtes
  • Des mots ou chiffres cachés dans des textes
  • Des jeux physiques ou d’adresse (qui peuvent nécessiter d’être à plusieurs et de s’associer pour réussir). L’émission Fort Boyard peut être source d’inspiration 😉
  • Des sons ou odeurs à reconnaître

Voir cet article : 101 idées pour des jeux d’évasion.

Pour varier les plaisirs, on peut :

  • toucher différents sens : odeurs, sons, matières à toucher… On peut jouer aussi avec les 4 éléments (mais attention au feu évidemment).
  • accéder à différentes émotions : peur (mettre la main dans un trou noir), dégoût (toucher une matière visqueuse), surprise (faire apparaître un objet), suspicion (cacher un objet important sur l’un des joueurs)…
  • jouer sur le côté « magique » (une porte qui s’ouvre, un mot qui apparaît…), en s’appuyant sur le numérique, l’électronique, la chimie, le magnétisme…
  • proposer des énigmes qui doivent se résoudre à plusieurs ou dans deux espaces en parallèle pour favoriser la collaboration. Par exemple on doit appuyer sur plusieurs boutons répartis dans la pièce en même temps.

Gardez néanmoins en tête que ces effets peuvent déstabiliser les joueurs et les empêcher de se concentrer.

Pour les objets, il est possible de trouver des choses assez étonnantes sur internet : cryptex, mappemonde, cadenas en tous genres, microscopes…

Conseil également de Médéric

Éviter de mettre des éléments qui ne serviront pas à la résolution d’énigmes.
Les questions à se poser concernant les énigmes sont :
1) Est-ce que c’est faisable ?
2) C’est indispensable ?
3) Cela peut se ranger facilement ?

Les énigmes peuvent alors être décrites sous forme de fiches en précisant :

  • le type d’énigme (afin de voir si vous avez bien varié les typologies sur tout le parcours),
  • le point de départ de l’énigme (le joueur possède X/ se trouve devant X),
  • la manière de la résoudre (le joueur doit faire X),
  • ce que va provoquer sa résolution (la solution va permettre d’aboutir à X / ouvrir X / déclencher X),
  • et le matériel nécessaire.

Créer des énigmes pour un escape game pédagogique

De manière générale, les énigmes d’un escape game sont pensées :

  • En fonction du budget
  • De manière à varier les plaisirs : faire appel aux différents sens, varier les types d’énigmes…
  • Pour n’être ni trop faciles, ni trop dures (pour cela, il faut tester)
  • De manière à bien s’emboiter pour créer un parcours logique

Mais à cela s’ajoutent nos objectifs pédagogiques :

  • En intégrant un maximum de contenu dans les énigmes

Une façon de faire consiste donc à reprendre chaque message que l’on souhaite « transmettre » et à les transformer en énigme.

Un exemple simple : je veux placer l’information « Le terme “océanographie”, désignant l’étude des océans, apparaît en France en 1881 ». Je peux transformer cette information en un message énigmatique (« D’un bleu profond, sa frontière est l’horizon. Royaume du silence, il aime pourtant qu’on le regarde et le questionne »), associé à un code chiffré à trouver. L’information pourrait être trouvée via de la fouille, écrite sur une affiche ou dans un livre. (pour rappel, aucune connaissance n’est censée être requise dans un escape game).

Penser le parcours d’énigmes

Le parcours de l’escape game est constitué de moments de fouille/observation/trouvaille et de moment de résolution d’énigmes.

En général, tout débute par de la fouille. On essaye de diversifier au maximum les cachettes : au mur, au sol, dans un meuble, dans des vêtements… Voire dans des éléments remis aux joueurs en début de partie. Mais chut… 😉 Attention à ce que ça ne soit pas TROP bien caché. Car on découvre vite que même des éléments sous le nez des joueurs peuvent être invisibles.

À partir de là, les joueurs trouvent :

  • Des éléments « bloqués » (coffre, tiroir verrouillé…)
  • Des éléments permettant de résoudre des énigmes ou déverrouiller des objets, qu’ils regroupent sur une table
  • Ces premiers éléments de résolution doivent permettre de résoudre une énigme, ou plusieurs énigmes en parallèle.

En effet, il est possible de créer un parcours linéaire (Résolution de l’énigme 1 > 2 > Résolution de l’énigme 2 > 3 …) ou un parcours non linéaire, qu’on nomme aussi « parcours emboîté » ou « en araignée » (Résolution de l’énigme A-1 > A-2 > A-3  // En parallèle // Résolution de l’énigme B-1 > B-2 > B-3 // En ayant A-3 et B-3 on obtient l’énigme finale). Point important, si le parcours est non linéaire, il peut être judicieux de penser d’abord la fin : l’énigme finale. Quels seront les éléments à assembler pour gagner ?
En général, les joueurs préfèrent les jeux non linéaires. Cela rajoute de la complexité et ça permet à tous les joueurs de réfléchir sur quelque chose. Par contre, c’est généralement la cacophonie et il plus difficile pour le maître de jeu de savoir s’il doit intervenir pour aider.
« Le maître du jeu n’intervient que lorsque tous les membres de l’équipe sont sur une mauvaise piste. À partir du moment où l’un des joueurs est bien parti, même si les autres s’éparpillent, nous n’intervenons pas. Un jeu non-linéaire peut donc poser problème au maître du jeu » raconte Médéric.

Lorsqu’on a fait le choix du type de parcours, on peut poser par écrit ce dernier, sous forme d’organigramme et de plan de l’espace afin de visualiser la logique de l’expérience.

Réalisé par l’équipe du site S’cape

Les éléments bloquants

L’escape game, c’est un emboîtement de mini-réussites qui s’enchaînent. Le plaisir du jeu passe par la réussite, tant individuelle que collective.

Les éléments bloquants sont donc indispensables à la partie. Ce sont comme les niveaux d’un jeu vidéo. Si vous pouvez directement passer au dernier niveau sans faire le reste du jeu, cela casse tout l’intérêt. Les éléments bloquants vont donc éviter que les joueurs ne trouvent tout trop vite et ne squeezent certaines énigmes. Ces blocages peuvent être des verrous, des cadenas, ou (attention SPOILER à ne lire que si vous avez déjà fait des escape games car c’est un classique, en surlignant le texte suivant) une seconde salle dont l’entrée apparaît…

Pour Panique dans la bibliothèque, étant limités par le budget matériel et donc le nombre de coffres verrouillés ou meubles, nous avons opté pour des énigmes à aller chercher en dehors de la zone du jeu, à unique condition que les joueurs découvrent une consigne les invitant à sortir.

Vous pouvez aussi considérer chacun de ces éléments à franchir comme des paliers, en augmentant le niveau de difficulté des prochaines énigmes à chaque fois.

Ni trop, ni pas assez

Le plus dur pour une première, c’est d’estimer le temps que prendra le parcours qu’on a imaginé. A-t-on mis trop d’énigmes, ou pas assez ? Pour cela, rien ne vaut le test ! « C’est votre premier escape game ? Vous verrez, ça ira mieux pour les suivants, s’amuse Médéric. À force, on a l’habitude et on estime plus facilement le temps que peut prendre un bloc d’énigmes. On peut par exemple penser le parcours par séquence de 10 min et se demander si, sur cette durée, le groupe peut résoudre ce bloc sachant qu’il sera pollué par le décor, les discussions, etc. »

Penser la remise à zéro

Entre deux sessions, on doit tout ranger et remettre à zéro. Une petite checklist du matériel peut donc s’avérer utile.

Décor et immersion

Sans doute le plus coûteux. D’autant plus si on veut s’assurer de la pérennité du matériel et respecter des contraintes de sécurité (matériel non inflammable par exemple). Mais parfois, si le lieu de l’escape game est lui-même assez inédit pour le public (un laboratoire, un opéra…), le budget décor n’est pas si important.

La première chose à faire est de lister les éléments pouvant donner vie à votre scénario (en plus de ceux utilisés pour les énigmes) : objets de l’univers choisi (attention aux anachronismes), accessoires appartenant à un personnage, affiches, livres, meubles d’époque… Les vides greniers et sites de revente seront vos nouveaux amis. Pensez aussi aux fab labs, des lieux aujourd’hui très répandus en France, qui permettent de fabriquer des objets que l’on a modélisés (ou dont on a trouvé le modèle en ligne).

« Attention néanmoins à ne pas trop en mettre, conseille Médéric. Mieux vaut privilégier une salle épurée, pour ne pas donner aux joueurs l’envie de feuilleter les livres page par page… ».

À cela peuvent s’ajouter une ambiance sonore (souvent une musique en fond est diffusée dans les escape room, un peu comme une ambiance sonore de film), des effets de lumière, de la fumée, des bulles ou même de la diffusion d’odeurs (nous, on passe par l’Explorarôme). Et, pourquoi pas, des murs ou sols qui tremblent. Attention néanmoins à la luminosité : même si une salle dans la pénombre fait son petit effet, c’est très difficile de rester 1h à résoudre des énigmes dans l’obscurité. Par contre, toute fenêtre doit être occultée sauf si cela participe au décor.

Une vidéo introduisant l’histoire et les personnages peut aussi permettre aux joueurs de s’immerger dans le scénario.

Autre possibilité pour immerger les joueurs : les mettre dans la peau d’un personnage. Leur remettre un costume, des accessoires, les maquiller…

L’entrée

Généralement, le maitre du jeu raconte l’histoire, puis fait entrer les joueurs dans la salle qui découvrent avec émerveillement les décors.

Mais certains vont plus loin : en bandant les yeux des joueurs qui ne doivent enlever leur bandeau qu’une fois bien placés et seuls dans la salle (effet beaucoup plus étonnant), en les attachant (si, si !), en les immergeant dans le scénario dès leur arrivée dans les locaux de l’escape room où ils doivent trouver seuls l’entrée de la salle, etc.

La pression du temps et la conclusion

Un élément indispensable à l’ambiance et au parcours : le chrono ! C’est lui qui va générer du (bon) stress. Il doit être visible par tous les joueurs. Un écran affichant le décompte ou un simple minuteur. Le bruit du temps défilant peut par ailleurs accentuer le stress.

Enfin, il faut aussi penser la fin comme une apothéose à tout un travail de résolution d’énigmes. Conclure un escape game, c’est loin d’être simple (nous, on a eu beaucoup de mal). Les joueurs sont surexcités, tremblants. Ils actionnent la dernière étape. Et là : c’est fini. Tout retombe comme un soufflé. Pour renforcer le sentiment d’accomplissement, notamment quand il ne s’agit pas d’ouvrir une pièce fermée, on peut lancer un son ou une vidéo qui va conclure le jeu, actionner une machine, éteindre la lumière subitement… Bref de quoi revenir à la réalité.

L’animation du jeu et la place du maître du jeu

Le maître du jeu a un rôle primordial dans l’escape game. Idéalement, il aura participé à la création de l’escape game, afin d’en maîtriser tous les rouages, néanmoins cela n’est pas obligatoire.

Il doit être dynamique, rigoureux et attentif durant la partie et pour le rangement du matériel. Il aura pour mission :

  • de donner les consignes de sécurité et de bon déroulement du jeu aux participants, par exemple : ne pas utiliser la force, ne pas grimper, ne pas démonter un meuble, utiliser le stylo et le carnet mis à disposition pour prendre des notes, bien communiquer au sein de l’équipe, ne pas toucher aux livres marqués en bleu qui ne font partie que du décor, etc.
    N.B : il est judicieux de donner les consignes en dehors de la zone de jeu, idéalement dans un coin calme où les joueurs peuvent s’asseoir pour écouter attentivement le maître de jeu. Ils ne sont pas encore immergés dans le jeu.
  • d’introduire le scénario, en racontant l’histoire (en n’hésitant pas à la rendre vivante).
  • d’aider l’équipe à avancer dans leurs parcours, en les aiguillant si nécessaire. C’est lui qui va pouvoir moduler la difficulté du jeu. Mais il ne répondra jamais aux questions directement ni n’interviendra dans les discussions.
  • de réaliser le débrief avec l’équipe.
  • de remettre tout à sa place pour la prochaine équipe.

Il faut aussi se dire que tout le monde ne s’amuse pas de la même manière. Si certains groupes recherchent le challenge, d’autres veulent profiter de l’ambiance de l’escape game. C’est donc au maître de jeu de s’adapter pour que tout le monde se sente à l’aise dès l’accueil.

Des indices pour la réussite

On les appelle aussi « coups de pouce ». Ils sont indispensables. Ce sont ces petits messages qu’on va donner aux joueurs pour les aider à avancer. Rien de pire que de rester bloqués 20 minutes devant une énigme. De quoi en décourager plus d’un et faire vivre une mauvaise expérience.

On peut préparer ces indices en les rédigeant sur chaque « fiche énigme ». On peut aussi rédiger la version « dure à comprendre », un poil énigmatique pour ne pas trop aider, à donner en premier lorsque le groupe est en difficulté (ex : « un objet se trouve SOUS vos yeux »). Et la version « facile et bien claire » si le groupe n’a toujours pas compris (ex : « regardez sous la table »). On peut ainsi jouer sur les mots pour faire devenir la solution.

Le maître du jeu, à force de tests, saura si, à X minutes de la fin, les joueurs sont en retard ou en avance. Il dosera alors les indices.

Car le but pour le maître du jeu, c’est de faire gagner les joueurs. Mais pas n’importe quand : dans les DERNIERES MINUTES (c’est vraiment important, car on ne veut pas les faire finir trop tôt non plus). En effet, ces dernières minutes du chronomètre sont les plus stressantes et stimulantes. À 5 minutes de la fin, le maître du jeu va donc donner de plus en plus d’indices pour les aider à réussir. Car quoi qu’on dise, une équipe qui gagne retient un bien meilleur souvenir de l’expérience.

La place du maître du jeu

Les indices peuvent être donnés de plusieurs façons, par exemple :

  • Une caméra filme les joueurs en direct et un maître du jeu, à l’extérieur de la salle, envoie des indices qui s’affichent sur un écran ou via un talkie-walkie (le classique) ;
  • Un maître du jeu est présent dans l’espace de jeu, mais se fait le plus discret possible, donnant des indices lorsque cela est nécessaire ;
  • Un comédien (ou un maître du jeu qui est intégré dans l’histoire et théâtralise ses interventions) qui  est présent dans la salle, pour donner vie au scénario, et donner des indices quand cela est nécessaire ;

L’idéal reste la situation où le maître du jeu est à l’extérieur de la pièce et où les joueurs finissent par en oublier son existence. « Une partie parfaite serait une partie où le maître du jeu n’intervient pas. C’est très gratifiant pour les joueurs, mais ça reste exceptionnel », précise Médéric.

Dans une classe, au contraire, l’enseignant ne peut pas laisser les enfants seuls dans une pièce et doit donc trouver sa place tout en se faisant oublier des joueurs.

Et pourrait-on aller jusqu’à tout automatiser via le numérique et l’électronique ? Ce serait sans aucun doute très coûteux et surtout peu réaliste, car le facteur humain est trop important dans un tel jeu.
Mais pourquoi pas un bon vieux carnet de solutions à consulter étape par étape si nécessaire.

L’après-jeu et le débrief

On ne le dira jamais assez, pour un escape game pédagogique, le débriefing est indispensable. « Le débriefing ne doit en aucun cas être négligé, appuie Guillaume François. On peut même développer des séances ou des animations en amont et aval du jeu pour l’ancrer dans un projet global. Car l’escape game ne doit pas être un one shot dans un cours ! »

Médéric Heurtier, des xcape-room, confirme également l’importance de cette étape. « Dans les escape games traditionnels, le débriefing est très important. C’est un aspect qui nous intéresse, nous en tant que créateurs, mais aussi le public, qui veut revenir sur leur expérience ».

Le débrief’ va donc avoir plusieurs objectifs :

  • Apporter un retour aux joueurs concernant les énigmes qu’ils auraient ratées, leur parcours global et ce qu’ils auraient pu améliorer (en restant positif avec les joueurs, en « minimisant » ce qu’il leur restait à faire, quitte à leur mentir un peu…)
  • Recueillir des avis et des pistes d’amélioration
  • Et surtout pour un cours ou une médiation culturelle : revenir sur le contenu, questionner les joueurs, discuter des notions, faire consulter des ressources… Dans un contexte pédagogique, le debrief doit être tout aussi travaillé que l’escape game.

Petit bonus : beaucoup d’escape games proposent aux joueurs de prendre une photo de groupe, avec des pancartes « Champions », « On y était presque »…

Important également : éviter aux groupes de se spoiler. Car un groupe qui sort d’une escape room a souvent envie d’en parler. Il faut donc éviter qu’ils se retrouvent dans un même espace avec un groupe qui va faire le jeu, bien leur demander de ne rien dévoiler, insonoriser au maximum la salle de jeu ou bien avoir des fins alternatives.

La phase de test

Il s’agira là de réunir un panel assez important de groupes en veillant à ce que le public que l’on cible soit bien représenté. Dix séances de tests, avec des évolutions apportées entre chaque en fonction des retours, permettent déjà de bien évaluer le prototype.

Il faut aussi s’attendre à avoir tout faux : que les joueurs ne voient absolument pas ce qui vous semble évident, qu’ils fassent exactement l’opposé de ce que vous aviez imaginé, etc.

L’évaluation pourra alors se faire assez classiquement de trois manières complémentaires : par l’observation durant la partie, par un questionnaire rempli par le joueur après le jeu, et un échange avec le groupe. On évaluera la satisfaction du joueur, la réception du scénario (bien compris, apprécié…), l’ergonomie du parcours (objets bien trouvés, mais pas trop rapidement, compréhension des consignes, fausses pistes…), les énigmes (difficulté, appréciation, temps nécessaire, éventuelles coquilles…), etc.

Ces tests permettront également de tester les indices à donner, et estimer les phases du parcours (à X minutes, les joueurs doivent en être là…).

La diffusion

De plus en plus d’escape games sont conçus pour être diffusés : kits à télécharger, sous forme de jeux de société (comme Unlock), version légère itinérante…

Pour faire un escape game itinérant, il faut opter pour du matériel léger et simple à installer, tout en restant dans le thème du jeu pour ne pas casser l’immersion. « Pour Panique dans l’ISS, nous avons opté pour des meubles d’une marque suédoise, bien connus pour leur légèreté et leur simplicité de montage. Mais ils ont l’inconvénient d’être fragiles. Et pour délimiter la salle, ce sont des bâches décorées qui font office de murs » détaille Valentin Labelle de Délires d’encre.

 

 

De même, pour Les Éclaireurs, tout tient dans une malle. Et afin de protéger le matériel, toutes les impressions sont plastifiées et le petit matériel est changé régulièrement.

De notre côté, nous sommes aujourd’hui totalement convaincus de la pertinence de l’escape game en kit à télécharger (nous en sommes à 303 téléchargements pour Panique dans la bibliothèque) afin de diffuser le plus largement possible la culture scientifique et technique, et particulièrement dans des lieux où la médiation scientifique a encore peu de place (bibliothèques, centres de loisirs…).

Zoom sur quelques projets en cours

Pour finir, voici plusieurs projets présentés lors de la journée à Montpellier. N’hésitez pas à contacter les porteurs de projet !

  • [En cours de création] Escape game ECTADAPT du Réseau Éducation Pyrénées Vivantes : sur le thème de l’adaptation au changement climatique, c’est un projet transfrontalier (France- Espagne) construit pour des collégiens.
  • [Testé, recherche de partenaires et diffuseurs] Escape game médical conçu par une chercheuse de l’Inserm à Nîmes, pour la Fête de la Science : le but est d’identifier une bactérie responsable des symptômes d’un patient. Un rôle et des accessoires sont attribués à chaque joueur. Les joueurs ont eu accès à de véritables machines de laboratoire.
  • [C’est en cours de diffusion] Le jeu Atlantide, un jeu mobile géolocalisé : les joueurs doivent mener l’enquête en arpentant les rues de la ville. Il se base sur des documents d’archives numérisés et des monuments à trouver.
  • [La création est en cours] Iota, un escape game conçu par Art’M et La Rotonde : il porte sur le thème de l’intelligence artificielle, la protection des données et les fake news. Itinérant, il sera présenté en mars à la Biennale de St-Étienne et va ensuite tourner en France.
  • [En cours de création, recherche d’idées et de diffuseurs] Enquête au CBGP : le ravageur inconnu, de l’IRD Montpellier : réalisé au sein d’un laboratoire, il porte sur le thème des insectes ravageurs. L’objectif de faire découvrir la vie de laboratoire et les métiers de la recherche.
  • [C’est en cours de création] Escape game INSC@PE d’Insa Toulouse pour faire découvrir les filières aux futurs étudiants. Les énigmes se baseront sur les compétences acquises par les élèves. Une salle fixe avec un scénario est en cours de réalisation. Des étudiants ont pour mission de créer un catalogue d’énigmes déployables dans la salle.
  • [La création est en route] Escape game « SYR 730 » du Muséum de Toulouse : il a pour but de faire venir un public qui se déplace peu au Muséum, les ados.
  • [Déjà mis en place, kit à télécharger] Escape game Vogovskogo des ateliers ludosophiques : conçu dans une démarche de sensibilisation, il consiste à réussir une procédure de demande d’asile. À la fin, le joueur comprend que c’est extrêmement dur… Autre projet : “LudoLab Histoire” : les Ateliers Ludosophiques proposent aux étudiants de la faculté d’histoire d’inventer et de valoriser un dispositif ludique inspiré de leurs enseignements académiques. Au premier semestre ils se lanceront dans la conception d’un jeu d’évasion type “Escape Room” itinérant qui prendra appui sur les ressources matérielles et académiques du département d’histoire (cartes, archives, etc.). Puis, au second semestre, un événement culturel sera organisé avec les étudiants afin de valoriser leur création.

Illustrations : Pixabay, David Hofmann (flickr), SparkFun Electronics (flickr et Wikimédia), Steven Depolo (flickr).