Depuis 5 ans, notre équipe de médiation parcourt les collèges de la Haute-Garonne dans le cadre d’un dispositif unique en France : « Les parcours laïques et citoyens ». À travers des actions éducatives, le Conseil départemental a souhaité sensibiliser les jeunes collégiennes et collégiens autour de la citoyenneté et des valeurs de la république. C’est dans ce cadre que nous intervenons chaque année pour présenter et animer l’exposition « Sommes-nous tous de la même famille ? ». Un moment d’échanges, aussi riche que complexe, pour lutter contre les discriminations, en s’appuyant sur un discours scientifique.

Aborder des sujets tabous avec des collégiens

Le racisme, les discriminations, l’origine de l’Homme ou encore l’immigration sont autant de sujets sensibles qui peuvent susciter des réactions imprévues. Ils suscitent également des émotions fortes ou heurter certains publics. Quelle posture doit-on adopter en tant que médiateur ? Faut-il éviter certains sujets ou au contraire poser les bons mots pour en discuter ouvertement ? Comment peut-on aborder ces thématiques sensibles avec des collégiens ?

Pour tenter de répondre à ces questions, nous vous proposons de suivre le récit de nos expériences. Ces dernières se ponctuent de quelques conseils et anecdotes.

Conseil 1 : Anticiper les questionnements et axes de discordes

Aborder une thématique qui peut provoquer un débat ou susciter de vives réactions nécessite de se préparer suffisamment en amont. Il faut très bien connaitre sont sujet. L’orateur doit être au courant des dernières actualités, connaitre les références historiques. Mais il doit aussi anticiper les axes de discordes. Cela vous permettra d’être plus à l’aise lorsque vous serez confronté à une question ou à une situation délicate. Vous aurez plus de recul nécessaire pour ne pas être surpris et déstabilisé.

Outre le fait de connaître la thématique en elle-même, il peut être également judicieux de se questionner soi-même sur le sujet. Est-ce qu’il vous touche personnellement ? Quel est votre avis sur la question ? Vous pouvez prendre le temps en amont pour ainsi désamorcer ces questions. Pourquoi pas lors de la pause repas le midi avec vos collègues ? Cela vous permettra d’en parler sans devoir faire preuve de neutralité. Cela vous évitera de vous emporter lors de l’animation.

Anecdotes de terrain :

Lorsque j’ai découvert cette exposition et la partie sur les stéréotypes, cela m’a tout de suite rappelé une étude qui nous avait été présentée à la fac. Les stéréotypes influencent nos performances : c’est la conclusion de l’étude de Hively K. et  El-Alayli A. (2014). “You throw like a girl:” The effect of stereotype threat on women’s athletic performance and gender stereotypes. Psychology of Sport and Exercise, 15(1), 48-55. Pouvoir créer des liens entre le contenu de l’exposition et l’actualité scientifique permet d’enrichir le discours du médiateur et de donner de la profondeur aux notions abordés durant l’atelier. Il faut donc se préparer en amont de sa première animation, mais aussi se tenir à jour pour chaque nouvel atelier !

Par ailleurs, une question qui revient souvent lorsque l’on aborde les adaptations génétiques de l’humain à son environnement – comme la couleur de peau par exemple – est “pourquoi les Chinois ont les yeux bridés ?”. La première fois que l’on m’a posé cette question, je ne savais pas y répondre, mais je suis désormais préparé ! N’hésitez pas à toujours garder un petit carnet avec vous pour noter les questions que l’on vous pose. Il y a de forte chance qu’elles vous soient demandées à nouveau.

Conseil 2 : Faire preuve de neutralité et être à l’écoute

En tant que médiateur, vous n’avez pas la possibilité de connaître l’histoire ni la personnalité de chaque élève. Vous pouvez donc difficilement anticiper les réactions de chacun. C’est pourquoi il est indispensable de faire preuve d’empathie. Vous aborderez ainsi les réactions des élèves sans jugement. Le médiateur se doit de maintenir une posture neutre, car son rôle est de donner les clés de compréhension au public dans le but qu’il puisse se forger son propre avis et ses propres opinions. L’écoute et l’humilité seront donc vos meilleurs atouts pour discuter de manière apaisée avec les élèves.

Anecdotes de terrain :

“Et le racisme anti-blanc, c’est quoi ? Ça existe ?” Lancé par une enfant de 11 ans lors d’un échange autour des notions de classification et hiérarchisation des êtres humains au cours de l’Histoire. Comment accueillir cette remarque ? La question du racisme anti-blanc est sujette à controverse. Pour les sciences sociales, le racisme anti-blanc en France n’existe pas. Pour d’autres, c’est un fait évident. Cela dit, si des élèves ont été victime d’agressions liées à la couleur de leur peau en étant blanc, ils et elles ont tout de même besoin de poser des mots dessus, des explications, des raisons. Il faut donc présenter des avis divers pour laisser une chance aux participants de se faire leurs propres idées. Elles viendront suite à des recherches et des interrogations qui ont besoin de maturer. 

“Avez-vous des exemples de racisme en France ?
Le Front national ! Marine Le Pen !”
En tant que médiateur, on ne nous demande pas de nous positionner politiquement. Il faut simplement relater les faits. Et j’ai reçu l’aide d’une professeure de SVT pour répondre à cette question sans entrer dans un débat politique impliquant mon opinion. Elle nous a indiqué qu’aux yeux de la définition scientifique du racisme (idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races »), le rassemblement national (anciennement Front national) ne rentre pas dans cette idéologie. Ainsi les élèves ont pu, avec un nouvel œil, questionner leur vision des choses et nuancer des notions sur lesquelles ils et elles étaient catégoriques (et moi aussi).

“A votre avis, quand et où la vie est apparue sur Terre ?
Participant : Mais c’est Dieu qui a créé les premiers êtres vivants !”
En tant que médiatrice, on ne nous demande pas non plus de nous positionner vis-à-vis de la religion. Ce qui est important dans ce cas, c’est d’expliquer aux enfants de manière factuelle la différence entre science et croyance ainsi que la démarche scientifique sur laquelle on s’est appuyé pour comprendre et expliquer l’apparition de la vie. L’objectif n’est pas de convaincre le public de penser de telle ou telle manière. Mais de lui donner des clés de compréhension pour que chacun puisse se faire son propre avis. 

Conseil 3 : Désamorcer les situations délicates

Il arrive que certains sujets soient très délicats ou amènent à des situations difficiles à désamorcer. Dans ce cas, pas de panique, il faut rester transparent et honnête pour ne pas fuir le problème, mais tenter de le traiter rapidement. On en revient à notre premier conseil qui était de bien se connaître et bien maîtriser son sujet. Ce point vous permettra d’utiliser les bons mots ou concepts tout en prenant le temps de les expliquer à votre public. Et puis parfois vous serez surpris de voir que certains élèves peuvent désamorcer eux-même une situation. Par exemple, en lançant une blague ou encore en vous posant une question qui n’a rien à voir.

Anecdotes de terrain :

Dans le parcours de l’exposition, un moment critique survient au bout d’une quinzaine de minutes. Nous évoquons les origines d’Homo Sapiens et une autre espèce d’Homo qui lui a été contemporraine : Homo neanderthalensis. L’idée est de comparer ces deux espèces, leurs points communs et surtout leurs différences physiques. Nous faisons donc face à deux croquis représentant un mâle de chaque espèce. Petit détail, qui n’en est pas du tout un pour notre public : les dessins représentent des hommes nus !
Au moment de révéler ces deux personnages, c’est le rire assuré, ou à minima quelques sourires et remarques étouffées. Difficile donc de recadrer l’auditoire et de se concentrer sur la tâche de comparaison. Pour retrouver le calme, il faut faire face au problème. “Ah oui vous avez remarqué aussi : ils ne portent pas de vêtements ! Ils ne se baladaient pas comme ça à l’époque, ils étaient évidemment habillés.” Puis on a souvent des petites remarques de certains élèves : “Ça va on a plus 4 ans, pas besoin de rigoler !”.

Lors de l’activité « Peut-on classer l’espèce humaine ? » les élèves sont invités à classer 6 figurines. Cela se fait en fonction de la couleur de leurs yeux, de la couleur de leur peau, de la couleur de leurs cheveux et de leur taille. L’objectif est que les élèves se rendent compte que l’on peut faire autant de cases qu’il y a de critères arbitraires ou d’individus dans le groupe. Peu importe le critère que l’on choisi, on peut “mettre les gens dans des cases”, ce qui amène à des dérives de discrimination ou même de hiérarchisation. Ce cas concret de classification des figurines a généré de vives réactions chez l’un des élèves qui semblait être dans le même cas de figure. C’est-à-dire, mis à l’écart des autres du fait de sa couleur de cheveux. Bien que l’ensemble du groupe soit confronté à cette problématique, il a été difficile pour eux de prendre suffisamment de recul sur leur situation pour se rendre compte que leurs agissements étaient similaires. Cela montre qu’il est important d’en discuter avec eux afin qu’ils puissent faire maturer ces échanges.

Une autre situation délicate peut survenir au moment où nous demandons à tout le monde d’énoncer des stéréotypes qu’ils ou elles connaissent et ont déjà entendus. Il arrive que des élèves se retrouvent ciblés par ces interventions (couleur des cheveux, origine, couleur de peau…). Dans ce cas, c’est un moment important pour revenir sur l’impact émotionnel qu’ont ces remarques. On interroge l’ensemble de la classe sur la pertinence des stéréotypes, et à quel point il est ridicule d’enfermer des groupes entiers dans une même catégorie. Ce temps arrive en fin d’atelier, on donne donc l’occasion de mobiliser les nouvelles connaissances et les nouveaux concepts abordés au cours de l’intervention.

Pour conclure ce moment d’échanges

Ce format d’animation exposition-jeux-débats fonctionne donc très bien pour aborder des sujets sensibles ou tabous. La partie exposition permet de s’appuyer sur des contenus rigoureux et variés (photos, dates, graphiques, etc.), sur lesquels les élèves peuvent d’ailleurs revenir ultérieurement. Les activités permettent de créer des situations pendant lesquelles la parole et les questions sont libres.

C’est aussi l’occasion de prendre de plein fouet des questions que l’on n’aurait jamais imaginées. Cela donne un espace pour enfin aborder ces sujets en dehors de la relation élèves-professeurs ou parents-enfants. Avec notre approche directe, nous pouvons interroger les participants et participantes sur leur vécu et leurs expériences personnelles. Cet espace de discussion que nous créons permet un échange au sein d’une même classe sur des sujets parfois évités, ou jamais abordés entre les élèves aux opinions différentes (voir opposées !). Il met aussi en lumière le quotidien de celles et ceux exposés aux stéréotypes et aux problèmes du racisme en France.

Cette action est réalisée dans le cadre du Parcours laïque et citoyen du Conseil départemental de la Haute-Garonne.