Depuis près de 40 ans, les jeux de rôle prennent de plus en plus de place dans le paysage culturel français. Qu’ils soient sous format papier ou en jeu vidéo, ils rencontrent un grand succès auprès de nombreux publics. Inspiré par cet engouement, Instant Science s’est prêté au jeu en proposant mi-décembre 2023, en collaboration avec l’Université de Nîmes, une Soirée Cult’ sous forme d’un jeu de rôle scientifique sur la célèbre licence Donjons et Dragons.

Les Soirées Cult’, organisées par Instant Science, sont des rendez-vous mêlant science et pop culture. Des chercheurs, experts, et spécialistes sont invités à décrypter et analyser des œuvres de la culture populaire. Films, séries, jeux vidéo, toutes nos œuvres préférées peuvent être commentées sous l’angle de la science. De nombreux partenaires interviennent également sur le projet, ce qui permet de le diffuser auprès d’un public plus large.

Le format jeu de rôle scientifique

L’idée de créer une Soirée Cult’ dans un format jeu de rôle scientifique est née de réflexions menées entre Instant Science et l’Université de Nîmes, cette dernière souhaitant créer une soirée sur l’univers de Donjons et Dragons. Ni une ni deux, nous avons décidé de voir les choses en grand et de tenter l’expérience du jeu de rôle scientifique, pour coller au mieux avec l’œuvre.

Soirée Cult' Donjons et Dragons

Traditionnellement, un jeu de rôle sur table consiste en une partie dans laquelle chaque joueur incarne un personnage, qu’il a, au préalable, créé et qui va vivre des aventures dans un monde fictif. D’autre part, une personne est désignée maître du jeu. Celui-ci est chargé de faire vivre le jeu, en servant de narrateur. Il est aussi le gardien des règles, des combats, et des interactions de manière générale. Il est à la fois le meilleur ami et le pire ennemi des joueurs qui devront faire preuve de sagacité pour arriver à leurs fins.

La grande force du jeu de rôle est de permettre une liberté d’action quasi totale aux joueurs. Chaque action a des conséquences. Et toutes les actions sont possibles. Ainsi, face à une porte fermée, un joueur peut tenter de crocheter la serrure, enfoncer la porte, la brûler, la contourner… ou simplement toquer ! Cette liberté rend chaque partie unique. Elle contribue aussi à la popularité du format, car ce sont les joueurs et leurs choix, et non les concepteurs, qui “créent” le jeu.

De la médiation scientifique au jeu de rôle

Si les grandes libertés d’action du jeu de rôle peuvent sembler idéales pour parler de science, la réalité est plus contrastée. En effet, les jeux de rôle abordent, généralement, des thématiques d’heroic-fantasy ou de medieval-fantasy. Les grandes licences, comme Donjons et Dragons, nous racontent des histoires de noblesse, de magie, de féodalité, avec de nombreux personnages et monstres issus de l’imaginaire fantastique. Beaucoup d’éléments qui peuvent être difficiles à présenter sous un angle scientifique. La difficulté de la conception de cette soirée résidait donc surtout dans l’adéquation entre le format et les méthodes de médiation scientifique à utiliser.

Après de nombreuses recherches et discussions avec les partenaires de la soirée, une solution semblait avoir été trouvée. Plutôt que de découper la soirée entre jeu de rôle purement fantastique et discussions scientifiques, nous avons tenté de mêler les deux. Les joueurs incarneraient donc des personnages avec des compétences scientifiques qui leur permettraient de parler de science à l’intérieur même de l’univers du jeu. Ainsi, une chercheuse en psychologie de la santé pourrait, par exemple, incarner une guérisseuse itinérante qui maitrise les soins magiques et en plus spécialisée en psychologie. Sans sortir du jeu, son personnage serait alors en capacité de parler de son domaine de recherche et de résoudre des situations du jeu avec la science.

Soirée Cult' Donjons et Dragons

Comment réussir à impliquer le public ?

Un autre point important qui fait partie de l’identité des Soirées Cult’ est l’implication du public dans la soirée. Que ce soit par des questions directes ou par des jeux, nous tentons toujours de faire intervenir les participants pour créer une interaction entre publics et scientifiques. Faire participer le public sur un format jeu de rôle, avec un nombre défini de joueurs, s’est avéré être un autre défi à relever. Nous avons donc envisagé plusieurs options, et imaginé des solutions, que nous avons mises en place le jour J. Ainsi, en posant des questions, en votant pour ou contre sur les décisions des joueurs, ou même en incarnant des personnages non joueurs, le public a pu faire partie intégrante du jeu.

Conception et préparations

Une fois le format fixé, la conception des éléments de narration pouvait commencer. Même si un jeu de rôle raconte une nouvelle histoire à chaque fois, il était important d’avoir une trame narrative préparée à l’avance. Nous avons donc créé un scénario dans lequel l’action et les événements correspondaient aux domaines de recherche des scientifiques joueurs, afin de les encourager à exploiter leurs connaissances pour surmonter les obstacles. L’idée était de les placer dans un cadre favorable pour leur permettre de parler de leurs recherches, car contrairement aux autres Soirées Cult’, ils n’avaient pas d’extraits de films/séries à commenter ou de questions préparées à l’avance.

Nos scientifiques de la soirée étaient un chercheur en chimie et deux chercheurs en psychologie de l’Université de Nîmes : Lucile Montalescot, Maître de conférence en psychologie de la santé ; Nicolas Mialon, doctorant en chimie ; et Théo Jezierski, doctorant en psychologie*. Le choix a été fait d’imaginer un scénario autour d’une brume magique qui rendait les gens malades et se propageait rapidement. Cette configuration a ainsi permis d’aborder, de manière fluide et cohérente, tous leurs sujets de recherche et ainsi de remplacer les extraits de films/séries que nous utilisons habituellement. En parallèle du scénario, nous avons choisi de pousser la scénographie assez loin pour renforcer l’immersion de la soirée. Nous avions préparé quelques visuels et ambiances sonores pour coller aux différentes situations rencontrées dans le scénario, afin de permettre une plus grande implication du public.

(*) Et le tout co-animé et co-organisé avec Yannick Martiquet, Directeur de recherche à l’Université de Nîmes ; .

Soirée Cult' Donjons et Dragons
Soirée Cult' Donjons et Dragons

Retours et pistes d’améliorations

Le jour J, la soirée s’est déroulée sans accroc, avec un public enthousiaste. Les retours positifs du public nous ont rassuré sur ce format qui restait, pour nous, très expérimental. Si un bilan devait être fait sur l’adéquation du format à la médiation scientifique, on pourrait citer quelques points positifs et d’améliorations.

Les points positifs

  • L’immersion dans le scénario fonctionne très bien et la scénographie est importante pour que scientifiques et publics se sentent directement impliqués dans la soirée.
  • Le côté imprévisible du jeu et des interactions rend l’événement plus dynamique et encourage encore plus le public à intervenir.
  • L’adéquation du scénario avec les domaines de recherche des scientifiques permet de créer une cohérence narrative intéressante avec les personnages fictifs qu’ils incarnent.

Les points d’amélioration

  • La médiation scientifique aurait pu être un peu plus poussée. Le risque principal de ce format est de trop se prendre au jeu et de passer les échanges scientifiques au second plan. Une piste de résolution serait d’accepter que les intervenants préparent certains passages à l’avance et garantir des moments d’échange scientifique au sein du jeu.
  • La gestion du temps est aussi un vrai challenge. En effet, une partie de jeu de rôle dure normalement plusieurs heures sur plusieurs sessions de jeu. Proposer un scénario, avec un début et une fin, dans la même soirée implique donc de bien préparer et tester celui-ci en amont.

Et ensuite ?

Cette Soirée Cult’ avait pour objectif principal de tester le format jeu de rôle dans le cadre d’un événement de médiation scientifique. Le contrat a été rempli ! Et bien qu’il reste quelques points à améliorer, le jeu de rôle est une opportunité très intéressante pour parler de science autrement, et pour toucher des publics qui ne se déplacent  habituellement pas sur des événements scientifiques.

Nous tenons à remercier infiniment l’équipe de l’Université de Nîmes, avec qui nous testons depuis plusieurs années des formats toujours un peu fous, tels que ce faux procès des personnages de la Casa de Papel !

Dans l’immédiat, nous n’avons pas d’autres Soirées Cult’ prévues sur ce format-là. Mais, si vous êtes médiateur scientifique, organisateur d’événements, ou même joueur et joueuse, nous vous recommandons de vous emparer du format et de le tester chez vous. C’est un projet très enthousiasmant, qui a le potentiel de donner lieu à des moments d’amusement et d’échanges très constructifs.

À vos dés, prêts, partez !