La science des super-héros : un projet scolaire pour combattre les catastrophes environnementales
Quel est le point commun entre Wonder Woman, les fluides non-newtoniens, la pollution plastique des océans et la robotique ?
Il se trouve que ce sont tous des sujets évoqués et mis en lien dans le cadre d’un nouveau projet scolaire développé par Instant Science : La science des super-héros. Ce projet s’inscrit dans le cadre de notre action Pop Cult’ mêlant sciences et pop culture. Il est réalisé grâce au soutien du Conseil départemental de Haute-Garonne, de la Médiathèque départementale de Haute-Garonne et de l’Académie de Toulouse. Cinq classes sélectionnées dans différents collèges (collège du Plantaurel à Cazères, collège Jacques Mauré à Castelginest, collège Victor Hugo à Colomiers et collèges Jean Moulin et Marengo à Toulouse) ont pu bénéficier de ce projet qui mêle pop culture et sciences.
Le défi de la centaine d’élèves participant au projet : lutter contre les catastrophes environnementales qui impactent la Terre en imaginant des super-héros ou héroïnes capables de sauver la planète. Notre défi : concevoir et animer un projet au sein duquel cohabitent sciences, technologies, et super-héros et héroïnes de la pop culture. Il semblait en effet intéressant de s’appuyer sur un sujet connu et apprécié des collégiens et collégiennes : les super-héros et héroïnes. Ce sujet introduit des notions de science et de technologie, sensibiliser à la protection de l’environnement. Il aide également les élèves à développer leurs capacités de travail en groupe, de créativité, et de prise de parole. En somme, un projet ambitieux à destination de nos équipes de recrutement de super-héros et héroïnes.
Six séances pour recruter des super-héros et héroïnes
Le projet La science des super-héros s’organise autour de 6 séances de 2 heures chacune. Elles sont réalisées en classe entière avec l’accompagnement des enseignants et enseignantes volontaires de différentes matières. Les principaux objectifs de chaque séance sont définis au préalable, ainsi que quelques idées d’animations. C’est à ce stade de la conception qu’avec Marine Chaumelle, chargée de médiation, nous avons mis la main à la pâte pour continuer et finaliser le projet, avant de l’animer dans les collèges. Une fois familiarisées avec le projet et ses principaux axes, une première étape a été la recherche documentaire. Ce projet est assez dense en contenu, que ce soit du point de vue scientifique, technique, et environnemental. Mais aussi du côté de l’univers des super-héros et héroïnes. Il nous a donc fallu éplucher de nombreuses sources pour être calées sur des sujets aussi diversifiés. Comme les causes du syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles, savoir combien de grammes de Maïzena il faut pour faire un fluide non-newtonien. Ou encore, que sont les kwamis dans le dessin animé Miraculous. Quelles sont les différences entre les trilogies de films Spider Man ? Il reste cependant impossible de tout savoir ! Il était évidemment nécessaire que nous maîtrisions suffisamment bien les aspects scientifiques desquels nous allions parler. Nous nous sommes rendu compte que les élèves s’y connaissent souvent plus que nous dans le domaine des super-héros et héroïnes !
Un petit conseil : en tant que médiateur ou médiatrice, notre rôle n’est pas de tout savoir, au contraire. Le public avec lequel on interagit nous apporte souvent beaucoup de choses. Il nous permet d’enrichir les échanges. Ce qui est intéressant et stimulant, c’est de donner aux personnes avec qui l’on discute des opportunités de mobiliser des connaissances qu’elles ont. Puis de les aider à les utiliser ou à les développer dans divers contextes. Dans les situations où l’on aborde des sujets dans lesquels on a un peu moins de connaissances que notre public, c’est l’occasion de se positionner plutôt comme des intermédiaires qui cadrent l’échange ou le débat.
Nous avons ensuite (re)défini les grands temps forts de chaque séance. Globalement cela consiste à réfléchir à la forme sous laquelle présenter les informations que l’on souhaite faire passer. Plutôt sous forme de jeu, de recherche documentaire, de présentation un peu plus magistrale, d’expérimentations, etc. Nous avons fait en sorte de prévoir 3 ou 4 activités différentes par séance, pour avoir des séances rythmées. On jongle entre contenus scientifiques, contenus plus fun autour des super-héros et héroïnes. Tout ceci en aménageant des créneaux d’une vingtaine de minutes par séance réservés à la création des super-héros et super-héroïnes par groupe. Sur des séances de 2 heures. Il faut diversifier les activités toutes les 30 minutes environ pour faire avancer le projet. On donne le temps d’aller suffisamment loin dans les contenus tout en gardant l’attention des élèves.
Ce projet étant à destination de toutes les classes du cycle 4 (5°-4°-3°), nous avons essayé de faire en sorte qu’il soit pertinent pour tous les niveaux. Et ce malgré la différence d’autonomie et de connaissances entre des élèves de 5ème et de 3ème. Nous avons fait le choix de garder les même grandes lignes et informations clés à faire passer pour les deux niveaux, en misant sur le fait que les 3ème finissaient les tâches plus rapidement. Cela nous a permis d’avoir un peu de temps supplémentaire, notamment pour intégrer des moments de débats ou discussions plus libres sur certains sujets. L’occasion par exemple de parler de la vision manichéenne qui entoure les super-héros et héroïnes. Ou de l’évolution des univers des héros et héroïnes pour être plus en phase avec la société et représenter certaines minorités, etc.
Il y a eu quelques allers-retours de relecture par l’équipe. Mais aussi par une professeure détachée pour s’assurer que les contenus soient bien en adéquation avec les programmes scolaires. Les séances étaient validées et prêtes à être animées dans les collèges.
Un scénario digne des plus grands blockbusters
L’astuce pour intéresser les élèves et mettre en lien des thématiques comme l’environnement et la pop culture : leur créer un scénario digne des plus grands blockbusters. En l’occurrence, on se situe en 2076, dans un futur fictif où les super-héros et héroïnes existent. La planète est de plus en plus sujette aux catastrophes environnementales causées par les humains. Le gouvernement fait donc appel aux élèves pour intégrer le ScienceLab, une agence de recrutement de super-héros et héroïnes. Les élèves, par groupes de 4 à 6, ont pour mission de comprendre les catastrophes environnementales en question. Ils doivent s’approprier certaines découvertes scientifiques et technologiques pour imaginer des super-héros ou héroïnes. Ces derniers doivent posséder des pouvoirs ou des équipements capables de limiter les dégâts.
Nous avons donc non seulement imaginé un scénario qui sert de fil conducteur au projet, mais aussi créé un univers graphique. Nous avons conçu des supports faits pour plonger les élèves dans l’univers des super-héros et héroïnes. Cela passe par des choses relativement simples comme leur demander de s’inventer des noms de groupe. Ou bien leur fournir des documents avec une typologie travaillée sur lesquels sont apposés des tampons “top secret”. Ou encore à ranger dans une grande enveloppe en kraft appelée “enveloppe de mission”. Nous leur avons aussi fourni des badges avec des rôles, pour qu’ils et elles rentrent dans le peau d’un personnage en charge de missions précises. Par exemple journaliste, profiler, porte-parole, manager, scientifique, ou encore designer. Ce qui peut sembler être un détail s’est avéré très apprécié des élèves. Cela a été d’une grande aide pour les mobiliser tout le long du projet.
De la fiction à la réalité
Une fois la conception terminée (en tout cas pour la première version du projet, qui pourra être amené à évoluer), on passe à la pratique. Les séances dans les établissements peuvent commencer. Faisons à présent un petit zoom sur les 6 séances du projet, avec nos retours et conseils sur quelques points en particulier.
Séance 1 : Lancement de la mission
La première séance est probablement la plus importante, puisqu’elle sert à introduire le projet aux élèves. Nous annonçons les consignes, leur racontons le scénario, définissons ensemble les groupes et choisissons les catastrophes environnementales. Pour les y intéresser, il nous semblait important que cette séance soit particulièrement rythmée et équilibrée entre moments de présentation où la classe était plutôt passive, et moments de jeux ou de réflexion en groupe. Par exemple, après leur avoir présenté le projet, laissé du temps en groupe pour se répartir les rôles et trouver un nom d’équipe. Faire réfléchir sur les catastrophes environnementales. Nous avons introduit les super-héros et héroïnes à travers un jeu de “devine-tête” en groupe. Chaque élève se collait un nom de personnage sur le front et devait le retrouver grâce aux indices donnés par ses camarades. Ce genre d’activités a deux avantages. Premièrement, au cours de la première séance d’un projet en groupes, avec des groupes pas toujours choisis par les élèves, cela sert de “brise-glace”. Cela permet aux élèves de se sentir plus à l’aise avec leurs camarades. En parallèle, cela introduit largement un sujet (en l’occurrence ici les super-héros et héroïnes) de façon informelle via le jeu. De voir aussi ce que les élèves connaissent déjà ou pas. Nous avons ensuite pu poursuivre la séance avec d’autres moments de réflexion et de création autour des super-héros et héroïnes. Cette première séance qui alterne des formats d’activités différents a bien plu aux élèves. Ils étaient alors motivés pour s’investir dans le projet sur la suite des séances.
C’est au cours de la seconde séance que nous introduisons plus en détail les catastrophes environnementales (pollution lumineuse, pollution de l’air, contamination chimique des eaux, sécheresses et incendies, pollution plastique, marée noire, disparition des colonies d’abeilles, et fuite de produits radioactifs). La mission présente les causes et conséquences de ces catastrophes sans être trop pessimistes et risquer de générer de l’éco-anxiété. Pour cela, nous avons pris le parti de présenter sans les minimiser les causes et conséquences de chacune des catastrophes. Mais aussi d’insister sur les solutions possibles, et notamment celles déjà mises en place à différentes échelles. Pour mettre des mots sur les causes et les conséquences de chaque catastrophe, nous nous sommes inspirés du jeu La Fresque du Climat. Les équipes doivent reconstituer le déroulé des actions de chacune des catastrophes avec les cartes que nous avions imaginées. Il s’est avéré que les élèves étaient déjà plutôt au fait de la situation environnementale actuelle. Ils connaissent pour beaucoup certaines des solutions déjà en place. Ils ont également des idées ou des questionnements sur des choses qui pourraient être faites en plus.
Cette séance aborde enfin la construction de l’histoire de leur personnage. En embarquant les équipes dans une enquête sur l’origine de la pop culture, nous mettons les pieds dans “l’usine à super-héros” ! Nous parcourons les motivations des créateurs, leurs sources d’inspiration et en effectuant un petit voyage dans l’Histoire. Les élèves identifient des moments où les populations ont eu besoin de figures héroïques pour s’évader ou se sentir représenter. L’occasion aussi d’aborder avec les 3° l’exploitation de ces personnages à des fins politiques. Enfin, l’enquête révèle aux équipes l’utilisation d’inspirations mythologiques dans les designs ou l’histoire des super-héros et héroïnes de la pop culture. Ces découvertes permettent aux groupes de prendre la mesure des attentes autour du projet. Ils débutent les discussions autour du passé et de l’aspect de leur personnage. C’est d’ailleurs lors de cette séance que la plupart des super-héros et héroïnes commencent à prendre véritablement vie dans l’imagination des élèves. C’est possible notamment en leur faisant tirer au hasard des cartes “origines” (exemple : entrailles de la terre, futur…) pour les inspirer. Nous enrichissons également la séance avec des livres sélectionnés par la Médiathèque départementale.
Séance 3 : De la fiction à la réalité
Pour la troisième séance, nous avons repris le concept des Soirées Cult’ : inviter un ou une scientifique pour discuter de la science derrière certaines œuvres ou thématiques de pop culture. Nous avons donc fait appel à des chercheurs et chercheuses volontaires pour venir parler de leur travail devant les classes. Le challenge pour nous et pour les scientifiques était d’adapter la présentation de travaux de recherche parfois complexes à un niveau collège. Mais aussi faire le lien entre le sujet de recherche et l’univers des super-héros et héroïnes. Pour ce faire, nous avons organisé l’échange sous forme de courte interview où nous axions les questions pour parler des thématiques qui semblaient intéressantes. Par exemple l’armure d’Iron Man lors de l’intervention de Luc Penazzi, enseignant-chercheur travaillant sur les matériaux innovants à l’école des Mines d’Albi. Ou bien le réalisme des capacités d’Ant-Man lors de l’intervention de Laure-Anne Poissonnier, chercheuse en éthologie et entomologie à l’université Paul Sabatier. Les élèves avaient aussi l’occasion de poser les questions de leur choix.
On ne peut que conseiller de les inciter à poser des questions sur le parcours scolaire, la carrière et le métier au quotidien des chercheurs et chercheuses, qui sont des informations qui peuvent leur être utiles pour leur propre orientation. Un autre conseil que l’on peut donner est de prévoir de la flexibilité dans l’organisation d’une animation dans laquelle une personne extérieure intervient. Que ce soit en présentiel ou en visioconférence, il faut compter un temps d’installation, de gestion des potentiels problèmes techniques par exemple informatiques, etc. Bref, ce n’est pas judicieux de prévoir un planning millimétré et de s’attendre à ce que tout se déroule à la minute près, car il risque d’y avoir des imprévus. Dans ce genre de situation, il peut être utile de prévoir des courtes animations qui peuvent être faites à n’importe quel moment de la séance.
Pour finir, nous avons proposé un petit quiz sur le réalisme scientifique de différents super-pouvoirs, en utilisant l’outil Plickers. Et surtout : nous avons annoncé l’arrivée de super-vilains et vilaines !
Séance 4 : Expérimentations
Vient ensuite un des moments fun – et salissant – du projet : la réalisation d’expériences pour imiter et comprendre des super-pouvoirs ou super matériaux. À l’interface entre magie, cuisine, et science, les élèves réalisent deux expériences : la première autour de l’invisibilité en faisant disparaître un bécher en le plongeant dans du glycérol, et la seconde autour de la fabrication d’un fluide non-newtonien (mélange qui se comporte comme un liquide sous certaines conditions et comme un solide sous d’autres) à base d’eau et de Maïzena. Ce genre d’expériences simples, rapides et ludiques sont un bon moyen d’introduire le principe de la démarche scientifique, du suivi d’un protocole et – très important – du rangement après avoir manipulé ! Le conseil pour ce genre d’activités : tester, tester, tester. En effet, tester les expériences au préalable, entre nous ou avec des membres de l’équipe, nous a incontestablement servi à ajuster précisément les protocoles pour que cela fonctionne en classe entière, avec le temps et le matériel qui nous étaient impartis. Cela est indispensable pour se rendre compte de la durée et des quantités nécessaires, ainsi que des formulations adaptées pour que les instructions soient facilement compréhensibles.
La conception puis animation de l’avant-dernière séance de notre projet est un bon exemple de comment il est parfois nécessaire de savoir adapter le déroulé d’une séance par rapport à ce que l’on avait prévu, pour pouvoir coller à l’état d’avancée effective du projet. En effet, l’idée initiale pour cette séance était de laisser un peu de temps aux groupes de finaliser le “CV” et le design de leur super-héros ou héroïne, puis de s’entraîner à l’expression orale à travers des jeux. Finalement, à l’approche de cette séance, beaucoup de groupes avaient encore un nombre important d’éléments de leur héros ou héroïne à définir avant de pouvoir songer à la présentation orale. Nous avons donc changé le contenu de la séance par rapport à ce qui était prévu, pour laisser beaucoup plus de temps à la finalisation de leurs créations. Lors de la conception d’un projet, il peut être difficile d’évaluer le temps que va prendre telle ou telle activité, et de savoir comment vont avancer les groupes, d’où l’importance encore une fois de tester, mais aussi de savoir réduire ses ambitions si besoin. Mais les retours des élèves sont formels : le travail de groupe et le fait de pouvoir imaginer sans limites sont très appréciés. Il ne faut donc pas négliger les temps de création en groupe lors de projets comme celui-ci !
Arrive enfin le moment tant attendu : la “conférence de presse” au cours de laquelle chaque groupe présente son héros ou héroïne et ses moyens de lutter contre la catastrophe environnementale attribuée. Cette restitution permet à toute la classe de découvrir les créations des différents groupes, et de les interroger dessus. Cela donne aussi une bonne idée de ce qu’ont retenu les élèves à propos de leur catastrophe environnementale et des nombreuses technologies et découvertes scientifiques dont nous avons discuté au fur et à mesure des séances. C’est là que l’on peut constater la qualité du travail que sont capables de produire les élèves, d’autant plus lorsque le personnel enseignant associé au projet s’est impliqué au long du projet pour les accompagner dans leur création et leur compréhension des enjeux. Le fait de présenter la restitution orale sous forme scénarisée, avec l’idée de la conférence de presse, et la possibilité pour les élèves de s’abriter derrière des rôles prédéfinis dédramatisent un peu cet exercice, qui est parfois stressant, surtout pour les 5ème qui ont encore peu l’habitude de parler de façon formelle devant leurs camarades.
Il est intéressant de voir comment les élèves arrivent à justifier leurs décisions artistiques (par exemple costumes, couleurs, accessoires, animaux de compagnie de leurs héros et héroïnes, etc.) en faisant le lien avec des concepts scientifiques et des idées de façons de lutter contre les catastrophes environnementales. Cela souligne l’intérêt de venir faire de la médiation scientifique dans ce genre de projet d’éducation artistique et culturelle, qui favorise l’interdisciplinarité et montre aux élèves les liens que l’on peut faire entre fibre artistique et culture scientifique.
Après ce voyage en 2076 dans un monde imaginaire, nous concluons sur les actions et discours de héros et héroïnes de l’environnement dans la vraie vie. Une dernière occasion pour la classe de discuter de ce qu’on se sent capable de faire et de dire pour lutter à leur échelle contre la dégradation de la planète. Ce moment nous a permis de découvrir que beaucoup sont encore gênés de proposer des actions écologiques à leur entourage ou à d’autres enfants de leur âge. En leur présentant des exemples de jeunes menant de “petits combats” à leur mesure, il nous a semblé que cela les aide à se sentir légitimes et capables de le faire à leur tour.